Vous avez du constater combien il est difficile de produire un changement durable chez les personnes ou les organisations que vous coachez.
Vous faites un séminaire, une dynamique semble se créer, et tout cela retombe rapidement.
C’est parce que les résolutions du Nouvel An ne marchent pas.
Robert Kegan et Lisa Lahey, deux chercheurs de Harvard, en ont découvert la raison, un phénomène qu’ils appellent Immunité au Changement. Tout comme l’immunité naturelle, c’est un mécanisme brillant et sophistiqué qui sert à nous protéger.
Pour mettre en évidence ce phénomène, Kegan et Lahey proposent une technique très simple, la réalisation d’une carte d’immunité.
Les trois premières colonnes de ce tableau révèlent de façon claire cette immunité, un équilibre entre des forces contradictoires.
Dans la première colonne, il faut indiquer des buts significatifs d’amélioration (une amélioration qui, si vous la faisiez, changerait bien des choses)
Puis dans la seconde colonne, procéder à un inventaire sans peur de toutes les actions que vous faites ou vous ne faites pas et qui s’opposent à la réalisation de votre but. Cela sans jugement, ce sont de simples observations, et sans chercher à expliquer pourquoi vous faites cela, ni chercher à vous justifier, soyez le plus objectif possible. Vérifiez que les actions listées s’opposent effectivement à la réalisation de votre but à étudier.
Enfin, demandez-vous quelles sont les peurs qui sous-tendent toutes ces actions qui s’opposent à la réalisation de votre but. Ces peurs vont aller dans la Worry Box.
Kegan et Lahey disent que la peur est une des émotions humaines la plus partagée.
Reformulez ensuite ces peurs sous forme de suppositions : je suppose que si, je fais le contraire des actions contre-productives de ma seconde colonne, il va se passer ceci ou cela que je veux éviter à tout prix.
Vous mettez ainsi à jour des obligations compétitives plus ou moins cachées jusqu’ici, qui servent à vous protéger, et qui rendent tout à fait raisonnables les comportements de votre seconde colonne.
Ces trois premières colonnes mettent en évidence un équilibre entre les buts et les obligations compétitives cachées : cet équilibre est appelé Immunité au changement.
On se décrit alors avec un pied sur l’accélérateur et un autre sur le frein, ou alors écartelé entre des obligations contradictoires. Beaucoup d’énergie est utilisée pour maintenir ce système en équilibre.
Mais il faut aller plus loin et découvrir les grandes croyances qui se cachent derrière les obligations compétitives cachées. Pour ce faire, je me pose les questions suivantes : qu’est-ce qui peut bien être à la source des peurs exprimées dans la Worry Box ? Qu’est-ce que quelqu’un qui se sent obligé de se protéger de certains dangers peut bien avoir dans la tête ?
C’est un exercice très personnel parce que les mêmes craintes peuvent être dues à des Grandes Croyances très diverses selon les gens. Si on creuse assez profond, et si on laisse du temps pour cela, il se peut que la grande croyance se manifeste : la découverte est alors soulignée par un sentiment d’avoir trouvé. Et bien souvent, ce ne sont pas des choses très agréables à regarder. Parfois même on retrouve des thèmes qui ont été abordés dans le passé en thérapie.
La technique Immunité au Changement est une technique de développement mental. Elle implique un processus d’apprentissage. En révélant des croyances cachées, elle va permettre à la personne d’en prendre conscience, de pouvoir les observer, de ne plus être agi par elles, de ne plus en être l’objet, mais d’en faire le sujet de son observation.
Donc, une fois mise en évidence une Grande Croyance, il est absolument impératif de ne pas traiter le problème comme d’habitude, par une solution technique. Par exemple, décider de ne plus faire les comportements contre-productifs mis en évidence ne marche pas. C’est une solution technique alors que le problème est un problème adaptatif. Le problème est trop complexe pour être résolu au niveau de complexité mental où l’on se trouve. Il va falloir un apprentissage pour se libérer et passer à un niveau supérieur de complexité mentale. Et cet apprentissage passe par l’observation scientifique de la Grande Croyance en action.
Pour pouvoir l’observer, il ne faut pas la supprimer d’un coup.
Souvent le simple fait d’énoncer la Grande Croyance, dans ce qu’elle a d’excessif, c’est déjà reconnaître qu’elle n’est pas vraie. Par exemple : je suis un génie méconnu. En formulant cette simple phrase on doit bien s’avouer à soi-même que certes on est bon et peut-être même très bon dans certains domaines, mais qu’on ne peut se dire un génie universel.
Tester la grande croyance, ça peut être étudier chaque mot qui la formule. Puis reconstituer l’historique de cette croyance, où et quand est-elle apparu, quand s’est elle déjà manifestée.
Attention, la Grande Croyance peut être vraie. Ainsi quelqu’un qui a vu le hall d’une maison s’effondrer devant lui peut croire qu’il risque de mourir s’il franchit un seuil.
Enfin, on passe à des tests de la Grande Croyance : ceux-ci doivent être modestes, ne pas risquer de compromettre la situation professionnelle, ils doivent pouvoir être mis en œuvre dans un délai relativement court, des données doivent pouvoir être recueillies…
On verra alors si elle est vraie, un peu vraie, complètement fausse. Au lieu d’avoir un comportement stéréotypé dans telle ou telle circonstance, toute une gamme de nuance pourra être produite.
En fait, pour la plupart des gens, la technique Immunité au Changement va leur permettre d’extirper la composante Cerveau socialisé dans leur schéma de développement mental.
Dans son livre « Changing on the job », Jennifer Garvey Berger décrit de façon très simple les caractéristiques des différents stades de développement mental. Le cerveau auto-souverain, rare chez l’adulte, correspond à quelqu’un qui ne pense qu’à ses propres intérêts. Les deux stades supérieurs, cerveau auto-auteur et auto-souverain, montrent beaucoup plus de nuances et de capacités à se remettre en cause et à s’adapter. La caractéristique du cerveau socialisé, c’est de dépendre d’une autorité autre que soi-même pour ses choix et ses actions. Imaginez comme cette composante peut être handicapante chez quelqu’un qui a de grandes qualités de leader par ailleurs, devoir sans arrêt passer ses choix et ses actions sous les fourches caudines des autres, d’autres…
La technique Immunité au Changement permet de croître au-delà du cerveau socialisé, et cela est excessivement libérateur. Car dans la complexité actuelle du monde, fonctionner avec des reliquats de cerveau socialisé est un handicap terrible.
C’est pourquoi il serait bon de la proposer à tout leader potentiel.