Dans Paths beyond ego : the transpersonal vision [Les chemins au-delà de l’ego : la vision transpersonnelle] p234.
Ram Dass (Richard Alpert) était un psychologue de Harvard qui a réalisé certaines recherches pionnières sur le LSD. Ce fut un enseignant spirituel très influent jusqu’à sa mort en 2019.
Lorsque nous voyons l’immense souffrance du monde, nous expérimentons une douleur intense dans notre cœur et un sentiment de désespoir. La souffrance semble si souvent cruelle, inutile, injustifiée, reflétant un univers sans cœur. L’avidité et la peur qui causent tant de souffrance semblent hors contrôle.
Lorsque nous sommes pris dans ce type de vision du monde, tout effort pour changer les choses semble trivial. Dans cette situation d’impuissance, nous nous défendons contre la souffrance en rationalisant – en utilisant notre intellect pour protéger notre cœur. Ce faisant, nous étouffons la générosité d’esprit innée de notre cœur. Agir selon cette vision du monde colore nos actes de colère et d’indignation, et les imprègne de tristesse ou d’un sentiment de futilité. Notre chaleur devient une fausse « chaleur professionnelle » ; nous ne sommes plus nourris par nos interactions « d’aide » avec les autres, parce que nos cœurs sont fermés. Nous pouvons bien travailler de plus en plus dur, le résultat final est la fatigue et le burnout.
A d’autres moments, pourtant, dans le silence de nos moments méditatifs les plus profonds, lorsque nous sommes à distance de l’immédiateté de la tristesse, nous ressentons intuitivement que derrière les formes de l’univers se trouve une sagesse unifiante qui l’inspire. Nous sentons une évolution guidée spirituellement qui donne à toute expérience de vie un sens plus profond que celui qui apparaît en surface. Nous apprécions les choses telles qu’elles sont.
Dans ces moments de conscience lumineuse, nous ressentons une sagesse dans la souffrance, une sagesse que nos intellects ne peuvent concevoir. Grâce à notre cœur-esprit intuitif, nous semblons dans le secret d’un univers où même la souffrance n’est pas dépourvue de grâce. La souffrance elle-même fait partie de la perfection de la nature évolutive de l’esprit à travers la matière. Tout se déploie comme cela doit se faire. Nous expérimentons seulement l’émerveillement, et une joie qui ouvre tout grand nos cœurs.
Ces deux visions du monde, apparemment antithétiques, ont chacun le son de la vérité, dans le contexte approprié. Mais comment les réconcilier ? Ce sont deux plans différents de la conscience, deux domaines différents de la réalité relative.
Lorsque nous sommes envahis par le monde et sa souffrance, considérer cela comme « simplement parfait » semble une sorte de blasphème, une rationalisation grossière. D’un autre côté, dans nos moments de transcendance, nos peurs et notre sentiment d’urgence à propos de la condition humaine semblent tout au plus poignants, reflétant seulement notre manque de foi.
Comment trouver en soi-même un endroit pour se tenir debout, à partir duquel nous pouvons intégrer ces visions du monde disparates, de façon à ne pas avoir à embrasser l’une au détriment de l’autre ? Comment développer à la fois la tranquillité d’esprit qui nous permet d’entendre les vérités spirituelles les plus profondes, et l’ouverture du cœur qui nous connecte complètement avec notre humanité ? C’est en vivant la réponse à cette question, jour après jour, que nous apprenons le sens véritable de la compassion et que nous reconnaissons, de l’intérieur, notre propre générosité innée qui naît spontanément à partir de l’équanimité.
Lorsque nous reposons dans ce point de tension ou d’équilibre, nous trouvons aussi une nouvelle intensité et richesse dans chaque moment. Car, pour trouver ce point, il nous faut calmer le mental. Plus il devient calme, plus nous semblons capables d’ouvrir nos cœurs davantage, dans des cercles de plus en plus vastes pour embrasser tous les êtres avec amour. Lorsque le cœur est très ouvert, nous voyons tous les êtres comme notre chère famille.
Ensuite, comme nous aimons plus de gens, leur souffrance blesse nos cœurs d’autant plus, parce que la pire souffrance pour nos cœurs est d’être témoin de la souffrance de ceux qu’on aime. Mais au même moment, plus notre mental est calme, plus la conscience spacieuse d’où naît notre foi, et donc notre équanimité, est profonde. Les deux côtés de la balance ont été intensifiés. Nous nous trouvons capables de supporter ce qui auparavant était insupportable. Nous sommes capables de garder nos cœurs ouverts, même en enfer.
A partir de ce point d’équilibre, nous reconnaissons que la souffrance que notre cœur humain ressent en présence de la souffrance des autres, fait partie de la perfection. Et le besoin du cœur d’agir sur la souffrance est juste également. Cela fait partie de réseau plus large de compassion. Mais nous découvrons, souvent avec grande surprise, qu’agir pour alléger la souffrance des autres n’a pas besoin de déranger notre équanimité. Il n’est pas nécessaire de nous forcer dans une position de jugement de l’univers, ou de Dieu. Nous nous retrouvons en train d’agir, dans le domaine du bien et du mal, du côté des anges ; cependant notre conscience demeure dans le Un.
Alors, nous nous retrouvons attirés encore plus fortement vers le service, comme acte de célébration ; un acte réalisé avec plaisir et équanimité. Ce type d’action guérit notre cœur. Il ne mène pas à la fatigue et au burnout. Mahatma Gandhi l’a superbement exprimé lorsqu’il disait : « Dieu ne demande rien de moins qu’une capitulation complète du soi comme prix pour la seule vraie liberté valable. Et quand une personne se perd elle-même ainsi, il/elle se trouve immédiatement dans le service de tout ce qui vit. Cela devient son plaisir et sa récréation. Il/elle est une nouvelle personne qui ne se lasse jamais de se donner au service de création de Dieu. »
Où commençons-nous ce voyage surprenant vers notre point d’équilibre ? Nous commençons exactement là où nous sommes. Nous regardons autour de nous et trouvons une façon d’engager nos cœurs et nos mains dans la souffrance du monde autour de nous. Et, au même moment, nous nous mettons en route pour cultiver un état d’esprit plus réfléchi, et nous nous offrons des moments calmes pour la méditation, pour l’étude, pour la contemplation. Ce sont les ingrédients que nous mettons dans la marmite. Puis nous mélangeons.
Au cours de ce voyage, nous pouvons nous attendre à perdre bien souvent le point d’équilibre et à être tiré d’un côté ou de l’autre. Mais nous le retrouverons car il existe une sagesse dans nos os qui sait que l’équilibre entre notre humanité et notre divinité est le siège de notre compassion – le foyer du véritable bonheur.
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